Les orgues de la paroisse Notre-Dame de Bressuire présentent cette particularité, peut-être unique, d’avoir été édifiées en pleine tourmente révolutionnaire, et le mot tourmente revêt ici tout son sens, quand on sait que Bressuire fut un foyer, et combien incandescent,de l’insurrection Vendéenne.
Par ailleurs, les sources de cette étude ont été très heureusement sauvées d’un destruction regréttable…/…
A la date du 15 Janvier 1792, deux personnalités de la ville, l’une laîque, l’autre écclésiastique sont, aux termes d’un procès verbal de l’assemblée de la Paroisse Notre-Dame de Bressuire, nommées commissaires de la dite paroisse, afin de faire l’acquisition d’un buffet d’orgue : il s’agit d’Adrien Joseph DELOUCHE Maire de Bressuire, personnalité marquante sur le plan local au début de la Révolution, et le frère Antoine BROSSIER, religieux Cordelier de cette ville.
Un généreux donateur de la région, sieur LEGRAND, dit « Milord » avait en effet légué à cette intention une somme de 15000 livres.
Entre cette date et celle du 29 Février (1792 étant une année bissextile) nos deux commissaires se mettent en campagne et se transportent dans une ville voisine « pour y faire l’acquisition d’un buffet d’orgue pour la dite paroisse » et, en raison de ce déplacement reconnaissent, suivant quittance du 29 Février 1792, avoir reçu de Mr Deschamps, trésorier de la Fabrique la somme de 135 Livres et 15 sols « tant pour les frais du voyage, que des sommes payées dans différents endroits, pour faire voir et visiter différents Buffets, que pour faire faire un devis et estimation d’une tribune dans la dite église Notre-Dame pour y placer le buffet d’orgue dont nous avons fait l’acquisition, dont quite. »
Le 10 Avril suivant, selon pièce cotée n°9, les deux commissaires reconnaissent « avoir reçu de Mr Deschamps président du Tribunal de District séant à Bressuire la somme de 300 livres plus celle de 480 Livres à valoir sur celle de 15 000 Livres léguée par feu Sieur Legrand , laquelle somme sera passée en compte au dit sieur Deschamps en rapportant la présente quittance. A Bressuire le 10 Avril 1792. »
Le 4 Mars 1792 un procès – verbal d’adjudication confie au Sieur R.Germain, charpentier, la construction d’une tribune en l’église Notre-Dame moyennant la somme de 520 Livres. En conséquence et suivant billet souscrit le 15 Mai 1792, le Sieur Deschamps , trésorier de la fabrique, s’engage à payer au dit Sieur Germain la dite somme de 520 Livres à savoir 280 Livres en écus de 3 et6 sols ou autres espèces d’or ou d’argent, le surplus en assignats, selon que la chose est quittancée ce même jour.
Avant les 5 et6 Novembre, l’orgue avait été reçu et visité par le sieur Hurjon, organiste à Thouars, puisque le 5 Novembre, un nommé Gerbier reconnait avoir reçu, toujours du Sieur Deschamps, la somme de 3Livres 12 sols à lui due, pour avoir été chercher (avec un cheval de louage)l’organiste à Thouars, afin de faire la visite du jeu d’orgue de la paroisse de Notre-Dame de cette ville.
Le lendemain, 6 Novembre 1792, (An Ier de la République), le dit sieur Hurjon organiste deThouars reconnait avoir reçu la somme de 48 Livres pour honoraires de la visite et réception de l’ orgue de la dite poroisse Notre-Dame de Bressuire.
DIFFICULTES
L’établissement des orgues de l’église Notre-Dame n’a pas été, sans que soient dressés à l’encontre des obstacles imaginés par le corps de ville, au nom d’une certaine bienfaisance, sans souci de l’intention du donateur; qu’on en juge d’après cette pièce n°15 qui reçut la réponse ci-après :
« Au nom de l’assemblée des citoyens de la ville de Bressuire nous, président d’icelle soussigné, prions Mr Deschamps, Président du Tribunal, conformément à l’arrété de la commune de ce jour de déclarer s’il est dans l’intention de remettre la somme destinée pour l’acquisition des orgues dans les mêmes espèces qu’il les a reçues, pour cette somme être destinée à échanger les assignats à cinq livres aux plus malheureux des citoyens et députe à cet effet , assemblée tenante, Mrs Gougeard et Lamoureux auprès du dit sieur Deschamps. » Assemblée à Bressuire le 29 Mars 1792.
Chose curieuse, cette pièce est signée Delouche et Branger.
Et voici, portant refus courtois la « réponse au billet de l’autre part », c’est-à-dire rédigée au verso:
« Messieurs,
« Mr Brossier peut vous dire que lorsque je lui ai remis la somme de 480 Livres pour payer les orgues, je lui dis que je ne voulais point profiter de cet échange, et puis donc vous assurer, Messieurs, qu’en applaudissant aux vœux bienfaisants de l’assemblée pour la classe la plus indigente de cette ville, je me conforme à son arrété. »
Signature de Deschamps
Le projet de l’établissement des orgues entra ainsi dans la voie des réalisations par l’intermédiaire du Sieur NYSSEN, facteur d’orgue, qui reconnait le 5 Novembre 1792 avoir reçu à cet effet la somme de 1800 livres en Assignats. On a vu, chemin faisant que l’Orgue fut reçu et visité par le Sieur Hurjon, organiste à Thouars.
DESCRIPTION
Depuis cette date, les orgues qui ont pour « mission d’aider à prier sur de la beauté » ont embelli les cérémonies du culte selon leurs moyens, et ceux des différents titulaires qui se sont succédés sur leur banc depuis le sieur Hurjon en 1792…/…
BUFFET D’ORGUE
Quand au Buffet, d’une grande simplicité, il affecte une façade rectangulaire, divisée dans le sens de la largeur en 3 registres plats, enserrant les tuyaux de la « MONTRE », grosse flûte ainsi dénommée, parce que les tuyaux sont précisément en façade « en montre ». Le registre central assez important étant flanqué de part et d’autre de deux étroits registres étirés en hauteur et séparés les uns des autres par des pilastres cannelés arborant des chapiteaux corinthiens, le tout surmonté d’un fronton triangulaire de style classique,lui-même terminé par une croix.
TRIBUNE
L’instrument est logé dans la tribune de R. Germain, modifiée et agrandie en 1910 pour recevoir la Chorale paroissiale [Les récentes restaurations à l’intérieur de l’église ont permis de redonner à la tribune son aspect initial. Il reste maintenant à faire en sorte que l’orgue soit restauré]. D’une hauteur presque vertigineuse, en raison de la porte centrale de l’église qui s’ouvre en dessous, elle est supportée par quatre colonnes corinthiennes et décorée en son milieu par une lyre sculptée. On y accède par un petit escalier en colimaçon, non entouré par une tourelle, et de ce fait assez disgracieux…/…
NOMENCLATURE DES JEUX
Nous ne connaissons pas la nomenclature originelle de l’instrument, mais présentement, après la réfection de 1922, couverte par la générosité spontanée de Mme CAMILLE DUPUIS, de reconnaissante mémoire, les orgues de Notre-dame de Bressuire se présentent ainsi qu’il suit:
Il s’agit d’un instrument de transmission mécanique comportant deux claviers manuels : Récit et Grand orgue; un pédalier; treize jeux; une soufflerie électrique (depuis Aout 1941); une pédale expressive pour le clavier de Récit; une pédale d’accouplement pour les deux claviers manuels; deux tirasses; un tremblant.
Précisons que les treize jeux d’une belle et délicate sonorité dans le détail, sont très poussés, de telle sorte que le grand Chœur de l’instrument revêt une ampleur supérieure à un orgue de 13 jeux
ORGANISTES
Quand aux organistes qui ont assuré le service, citons de mémoire, Melle Constance Sauce-Verte, au nom pittoresque, malheureusement aveugle; puis Mlle Marie Sinet, également aveugle qui embrassa son instrument quand elle dut le quitter pour la maison de retraite, peu après la réfection de 1922. Puis Sœur et Mère Gertrude, Supérieure en cette dernière qualité de l’Ouvroir de Bressuire, devenu à la suite d’importants développements l’École professionnelle de l’Immaculée Conception. Enfin le signataire de ces lignes, élève d’Eugène Landais, ancien Organiste de la Cathédrale de Poitiers, mort en 1950, suppléant depuis 1929, titulaire depuis 1941, qui s’efforce dans la mesure du possible de faire parler à son instrument un langage liturgique .
EN MATIERE DE CONCLUSION
Émettons, en terminant, le vœu que ce bel instrument, qui possède son histoire originale, connaisse bientôt une nécessaire restauration qui assure sa pérennité pour l’édification des générations montantes.
Raymond GARAND, Secrétaire Archiviste des Amis du Vieux Bressuire, Organiste de L’église Notre-Dame de Bressuire.
Bulletin des Amis du Vieux Bressuire, N° 4, Année 1952-1953, p. 15-21.