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Soldat allemand dans le parc du château de Blanchecoudre, à Breuil-Chaussée (79)

Les évadés de Blanchecoudre (1942)

Il y a quelques mois, M. Jean-Marie Frouin me contactait pour me soumettre un texte sous forme de témoignage à propos d’un épisode de la Seconde Guerre mondiale dans le Bressuirais. Intitulé « Les évadés de Blanchecoudre », le texte marie en fait deux témoignages distincts : celui de Jean-Marie Frouin et celui, indirect, de Robert Peltier.

Dans la première partie du texte, Robert Peltier présente la situation du château de Blanchecoudre pendant la guerre. Son père en était le régisseur. Le château est occupé par les Allemands qui y ont installé un campement où sont détenus des prisonniers maghrébins de l’armée française. Un centre d’entrainement pour les « malgré-nous » alsaciens et mosellans y aurait fonctionné.

Le témoignage de Jean-Marie Frouin qui fait suite au premier raconte la façon dont, en septembre 1942, ses parents, Raymond et Marie, alors cultivateurs dans le bourg de Terves, se sont vus confier par le maire de la commune un évadé du château de Blanchecoudre qu’ils ont accueilli et dont ils ont organisé la fuite pour échapper à l’arrestation par les gendarmes de Bressuire.

Voilà présenté succinctement le texte que m’a remis Jean-Marie Frouin. Vous pourrez en prendre connaissance en suivant les indications en bas de cette page.

Les témoignages sur la Seconde Guerre mondiale dans le Bressuirais ne sont pas légion et celui-ci est évidemment intéressant. Toutefois, tout comme les autres récits qui font appel à la mémoire, il demeure fragile. Quatre-vingt années se sont écoulées depuis la guerre.

Le témoignage de Robert Peltier dont le père était le régisseur du château, recueilli par Jean-Marie Frouin, est difficilement vérifiable. Il soulève plus de questions qu’il n’apporte de certitudes comme vous pourrez le constater en lisant les notes infrapaginales ajoutées au texte.

De son côté, Jean-Marie Frouin n’est encore qu’un enfant en 1942 au moment des événements qu’il relate et ses parents, par pudeur selon lui, en ont très peu parlé après la guerre, comme il me le confiera dans les discussions que nous avons pu avoir par la suite.

Il se trouve que mes recherches personnelles m’ont amené récemment à dépouiller les archives de l’épuration conservées aux Archives départementales de la Vienne. Sous la cote 111 W 519, un dossier concerne une enquête faite après la Libération à propos de Louis Chessé, maire de Terves, accusé d’avoir « signalé la présence dans sa commune d’un prisonnier évadé à la gendarmerie » et d’avoir « signalé aux autorités d’Occupation l’arrivée d’un prisonnier évadé dans sa commune ». La lecture des différentes pièces du dossier m’a ramené à Raymond Frouin et son épouse, Marie, puisque leurs témoignages du 26 avril 1945 dans le cadre de l’enquête diligentée par le Commissaire du Gouvernement, font partie des pièces de la procédure à l’encontre du maire Louis Chessé.

Ces documents viennent bien confirmer le placement du soldat évadé chez Raymond et Marie Frouin le 3 septembre 1942 mais, contrairement à ce que rapporte leur fils Jean-Marie dans son témoignage, au lieu de permettre sa fuite comme ils en avaient l’intention, ils se voient contraints de remettre l’évadé à la gendarmerie, en présence de soldats allemands ; le maire Louis Chessé ayant prévenu ces derniers de la présence de cet évadé dans sa commune.

La réalité historique vient ici se heurter frontalement à la vérité d’un témoignage, transmise comme telle par la mémoire familiale depuis 1942. Le récit de Jean-Marie Frouin, augmenté des discussions que nous avons eues après la découverte faite dans les archives, a permis de mieux comprendre la construction de la mémoire de l’événement qui a troublé fortement ses parents à la suite de l’arrestation de l’évadé. Raymond et Marie Frouin n’ont pas accepté ce qu’ils ont immédiatement considéré comme une injustice. Une part de culpabilité les a submergés, eux qui avaient pour habitude de secourir les malheureux qui se trouvaient à passer chez eux. C’est aussi probablement pour eux une certaine forme d’échec à n’avoir pas pu sauver cet homme recherché par l’occupant. Après la guerre, passée l’enquête officielle contre Louis Chessé, le silence est retombé et les époux Frouin n’ont quasiment jamais reparlé de cette triste affaire, refusant même de l’évoquer, la renvoyant au plus profond de leur mémoire. Quant à Jean-Marie, il en a conservé ce qu’un jeune garçon a pu en comprendre à l’époque et qu’on a bien voulu lui raconter. Il a idéalisé le rôle tenu par ses parents, faisant d’eux des héros, à la fois charitables comme ils l’avaient toujours été, courageux et discrets.

Au bout du compte, si la vérité rétablie va à l’encontre de la mémoire, il reste que les époux Frouin n’en sortent pas diminués pour autant. Que pouvaient-ils faire d’autre face aux injonctions des Allemands et de la gendarmerie française aux ordres de l’occupant ? Face à un maire dont les sympathies vichystes le poussaient à appliquer scrupuleusement les directives reçues ?

Guy-Marie LENNE

Avril 2024

Pour lire le témoignage de Jean-Marie Frouin, cliquez sur le lien ci-dessous