You are currently viewing Les protestants du Bocage

Les protestants du Bocage

« LES CLANDESTINS DE DIEU” A MONCOUTANT XVIIIe SIÈCLE

“Nos soins ont eu la fin que nous nous sommes proposés, puisque la meilleure et la plus grande partie de nos sujets de la dite RPR. (Religion Prétendue Réformée) ont embrassé la Catholique ».
C’est en ces termes que Louis XIV s’exprimait en 1685, estimant qu’après plusieurs dizaines d’années de lutte, il ne restait plus de protestants en France. Par conséquent, il pouvait révoquer l’Édit de Nantes devenu inutile : le protestantisme théoriquement n’existait plus, il n’y avait que des nouveaux convertis au catholicisme.
C’était faire abstraction de la réalité, notamment en Bas-Poitou où des Églises réformées se maintenaient très solidement, malgré les luttes et les persécutions, depuis le début du XVIIe siècle. Dès 1665, dans la région de Moncoutant et de Saint-Jouin-de-Milly, à Vaudoré, on avait interdit le culte, détruit les temples et les pasteurs devaient s’exiler. Le roi s’imaginait que, privé d’établissements de culte et de clergé, la religion protestante ne pourrait subsister. C’était mal connaître l’opiniâtreté des “parpaillots” dont la foi inébranlable semblait inextinguible.
Les temples rasés, les pasteurs en exil, les gens de la R.P.R. continuaient donc malgré tout à pratiquer leur culte secrètement, la nuit, dans les bois, les champs isolés. Ces réunions clandestines prirent alors le nom “d’assemblées du désert” dans lesquelles les plus instruits, les prédicants, reprenaient le sacerdoce: les protestants étaient devenus les “clandestins de Dieu”.

C’est de cette façon là que les protestants de Moncoutant vont résister , ce qui vaudra même à la région, le surnom de «Petite Genève», mais lui vaudra également en 1747, de nouvelles représailles. Les minutes d’un procès conservées aux Archives de Poitiers, en sont un excellent témoignage.

L’affrontement de 1747

Le dimanche 23 avril 1747, les soldats du lieutenant Guerry de la Barre de Fontenay-le-Comte, sont chargés d’arrêter deux religionnaires de la région de Moncoutant, accusés de faire les fonctions de prédicants.
Chevauchant dans la nuit, ils n’arrivent qu’à la pointe du jour pour arrêter Charles FILLON du village des Places et Jean PEROCHON de la Javrelière.
Après s’être séparés pour surveiller chacune des maisons des deux suspects, l’un des groupes de soldats encercle celle du nommé FILLON. Mais là, le chien aboie, les gens se réveillent et on entend tirer un coup de fusil. Dans sa déposition, un des soldats raconte qu’il a tout de suite pensé qu’il s’agissait d’un signal pour avertir et demander du secours. Après avoir forcé la porte de la maison, ils prennent « au corps le dit FILLON, malgré les oppositions de son fils, sa femme et sa servante qui se sont jetés sur les soldats ». Pendant ce temps, « des gens cachés derrière la haye vouloient couper les reines, colliers, et harnois des chevaux…, ces bougres de gueux… ” » et le soldat poursuit : « il y avait troupes de malheureux prêts à faire feu sur nous …armés de fusils, pistolets, fourches, faux, bâtons ferrés et les femmes, de pierres, cendres, terre dans leur tablier …2 à 300 personnes ».
Pendant ce temps, à la Javrelière, l’autre escouade avait arrêté Jean PÉROCHQN avec beaucoup moins de difficulté. Ils avaient trouvé chez lui, dans des coffres, les registres d’Etat-civil du « désert » ainsi que des livres servant aux prières et la Bible, qu’ils emmenèrent comme pièces à conviction. Ils firent monter leur prisonnier derrière un cavalier et s’apprêtaient à rejoindre les autres, lorsqu’ils entendirent un coup de feu du côté de Puy-Mary. Ils se hâtèrent donc pour porter secours à leurs collègues aux prises avec les émeutiers, qui dans une révolte désespérée, tentaient d’enlever les leurs à la maréchaussée.
Celle-ci harcelée, insultée, est fortement rudoyée. Un des soldats témoigne au procès : …« après avoir fait sauver le dit PEROCHON, ils nous dirent que nous n’avions pas d’ordre pour les arrêter et qu’ils mourraient martyrs, qu’ils se f…. pareillement du grand prévôt comme d’eux et de toute la maréchaussée… que malgré nos défenses, les nommés JULIOT et RIMBAULT, cavaliers, furent blessés par cette populace qui tomba sur nous… »

Les soldats ainsi malmenés voyaient leur échapper FILLON et PÉROCHON, et eux-mêmes ne durent leur salut que dans la fuite.

Une semaine après, M. de RIGAL, brigadier du Roi, revenait à Moncoutant avec l’ordre d’arrêter tous les gens de la R.P.R. qui s’étaient révoltés.

A peine à une lieu du bourg, les soldats « entendent la voix d’un homme criant et répétant de toutes ses forces : Alerte ! Alerte ! ”. Les cavaliers ne pouvant le rattraper, se rendent au galop dans le village et ont l’ordre d’arrêter autant d’habitants qu’ils le peuvent.

Le curé de Moncoutant est chargé de les reconnaître: … « Il les aurait tous reconnus en effet, pour être du village de sa paroisse où la révolte est arrivée, sans savoir s’ils étaient de cette révolte, assurant pourtant qu’il n’en doutait pas puisqu’il était parfaitement convaincu qu’ils en étaient tous par l’entêtement à leur religion et à l’aversion qu’ils ont pour les catholiques ».

Les soldats n’en reconnaîtront en fait que cinq, pour avoir participé à la révolte ; il s’agit de Pierre GUERIN, briseur de laine de la Guierche, François FRADIN, tisserand à la Burelière, Louis PEROCHON, fileur de rouches de Puy-Mary, Pierre POUGNEAUD, faiseur de droguet du hameau des trois-maisons et enfin, Jacques MARILLAUD, bordier aux Places. Jetés dans les prisons de Poitiers, leur jugement ne sera rendu que trois ans plus tard, en juillet 1750.

En janvier 1750, les soldats sont à nouveau retournés à Moncoutant : … « nous nous sommes transportés dans la forêt de Chantemerle avec deux mouches à nous … cachés jusqu’à l’heure de minuit, nous serions tous remontés sur nos chevaux pour arriver aux environs de deux heures près de la Javrelière où nos deux mouches nous auraient indiqué que le dit PEROCHON était revenu résider… » . Malgré les recherches dans toutes les maisons, ils ne trouvèrent personne.
De là, ils sont allés voir le curé qui leur a annoncé la mort de Charles FILLON, décédé peu après la rébellion de 1747. Cette émeute aura été fatale à la famille FILLON, puisque le chirurgien de Moncoutant, Jacques RICHOU DE LAURIERE, affirme dans sa déposition que les frères du fugitif sont morts des suites de blessures reçues lors de l’affrontement et que la propre femme de Charles FILLON avait été mortellement blessée.

Quant aux prisonniers, leur sort ne fut pas plus enviable. Après quatre années de prison, Jacques MARILLAUD fut pendu sur la place Saint-Nicolas à Poitiers et Louis PEROCHON mourra au fond de sa geôle, trois ans plus tard. Seuls, Pierre POUGNEAUD, Pierre GUERIN et François FRADIN, convaincus d’être pourtant du nombre des rebelles, sont déchargés de cette accusation. Quant à Jean PEROCHON, il n’a pu être repris. Mais qu’à cela ne tienne, il fut lui aussi condamné « à être pendu et étranglé jusqu’à ce que mort s’en suive à une potence… ce qui sera exécuté par effigie en un tableau qui sera attaché à la dite potence… »
Il nous semble important de signaler qu’à part Jean PÉROCHON, accusé dans le procès d’avoir exercé les fonctions de prédicant, ses camarades sont plutôt condamnés comme auteurs de rebellions et non directement pour le fait qu’ils soient de la R.P.R.
Cependant, les archives du procès de ces protestants, malgré leur sécheresse toute juridique, nous montre l’organisation clandestine du culte protestant et le quotidien d une population toujours sur le qui-vive.

Les opiniâtres et la justice

Les témoins catholiques ou protestants comme les accusés, restèrent très vagues lorsque l’officier de justice aborda la révolte. Forme de défense face à la justice royale.
Henry BASTY habite bien Moncoutant, mais « il n’a point connaissance de la rébellion et il ne l’a point vue”. Pierre ROUET a vu le 24 ou le 25, il ne sait plus très bien la date, plusieurs personnes armées de fusils, qu’il ne connaît pas, alors qu’il a sa maison à Puy-Mary même. Il n’a rien pu voir à cause d’un bois, il croit qu’il avait beaucoup de monde.

Pierre POUGNEAULT, quant à lui était malade. Jacques BOURSEAULT , dont on a retrouvé le fusil sur place, a appris la bagarre par le bruit public, comme Pierre GUERIN, qui le sait par ouï-dire.
Jacques MARILLAUD ne sait pas pourquoi on a tiré un coup de fusil, « mais qu’il arrive souvent dans son canton où les loups sont très communs, que l’on tire la nuit pour les écarter; quand on entend aboyer les chiens ».

Ce système de défense basé sur l’ignorance naïve au début, devient peut-être plus sincère lorsqu’on demande aux accusés : « ne saviez-vous pas que le roi condamne de la peine de mort ceux qui assisteraient aux assemblées du désert? ». Pierre POUGNEAUD répond qu’il ne le savait pas et que s’il l’avait su, il n’y aurait pas été, mais voyant tout le monde y aller, il ne comptait pas faire de mal.

François FRADIN, allait aux assemblées pour prier Dieu et s’il avait su qu’elles étaient défendues, il n’y serait pas allé. On retrouve la même réponse candide ou calculée dans la bouche de Jacques MARILLAUD.
Cette incrédulité semble en fait entretenue par les ministres pour soutenir la foi et le courage des religionnaires. Pierre GUERIN raconte que le ministre PRADON disait « que les dites assemblées étaient permises ». Thomas BATY, quant à lui, affirme que François FILLON « lui a dit que PRADON aurait dans peu de temps, une permission de sa Majesté de faire la prescbe et de tenir des assemblées par toute la France ». FILLON, le protestant voulait-il narguer son voisin BATY catholique ? On peut le supposer, mais si on rapproche ce témoignage du précédent, on pourrait également être tenté de croire que les ministres abusaient la communauté protestante, ignorante, analphabète pour la plupart, par des discours et des arguments plus ou moins fallacieux.

L’organisation du culte

Les déclarations des témoins et des accusés nous apportent aussi des éléments sur l’organisation religieuse de la communauté protestante de Moncoutant.
Elle n’a attendu que cinq ou six semaines après l’émeute d’avril, pour reprendre ses activités et organiser à nouveau des assemblées auxquelles PRADON assistait « perché sur une chaise haute… il prêchait, baptisait les enfants qui lui étaient présentés et unissait les vies… ». Les prisonniers ont tous été mariés ainsi. Pierre POUGNEAUD s’est vu marié il y a 22 ans, dans un chemin creux, par un homme qu’il ne connaissait pas et Pierre GUERIN a également convolé il a 21 ans, dans les mêmes conditions et précise qu’il n’avait pas eu d’extrait de mariage, mais que l’homme lui en avait promis un. Jacques MARILLAUD s`est marié aux prêches, il y a seulement 6 ou 7 ans. On lui a remis son extrait, mais comme il ne sait pas lire, il ne connaît pas le nom du ministre.

Pérochon l’ancien

Jean PÉROCHON jouait un grand rôle dans la communauté protestante de Moncoutant. Ancien maître d’école, il a l’instruction à l’inverse de Charles FILLON « pauvre laboureur », arrêté pour les mêmes raisons, c’est-à-dire pour avoir fait publiquement fonction de prédicant.
PÉROCHON apparaît donc, à travers les différents témoignages, comme une élite, un sage. On parle beaucoup de lui, il revient sans cesse dans les témoignages et on parle d’autant plus facilement de lui qu’il est en cavale. Lorsque les soldats arrivent à la Javrelière pour se saisir de sa personne, ils demandent à un particulier de leur montrer le chemin. Celui-ci « se faisait beaucoup de peine pour nous indiquer la maison du dit PEROCHON qui est extrêmement craint et considéré dans son canton parce qu’il enseigne et fait les exercices publics de la R.P.R ».
C’est lui qui effectivement se charge de l’administration religieuse et financière de l’Église protestante de Moncoutant. Le dimanche ou quand le ministre est absent, c’est lui qui fait la lecture, la prière, chante les psaumes et donne aussi la Cène. Cependant, personne ne l’a vu faire les baptêmes et les mariages. Il lit à sa porte et quelques voisins s’approchent de lui pour entendre la lecture. C’est chez lui que descend PRADON, on l’a d’ailleurs vu servir de passeur vers la Vendée pour les ministres. Il garde dans un coffre le registre de la communauté et, aux prêches, il ramasse dans un chapeau quelques sols qu’il destine à PRADON et aux pauvres, chaque somme récoltée étant soigneusement retranscrite sur un papier.
Alors que devenait-il pendant que l’on brûlait son effigie à Poitiers ?
Jacques BOURSEAULT, cabaretier à la Burelière, le vit quelques jours avant les fêtes de Noël de 1749, sur un chemin qui conduit de la Burelière à la Falourdière, vers Saint-Jouin-de-Milly. C’est dans cette dernière paroisse qu’il semble avoir trouvé refuge tout à côté des siens qu’il n’abandonne pas, chez la veuve COMBAUD dont deux de ses fils font la lecture aux assemblées.
Ayant échappé à la justice de son Roi, contumax, il ne lui reste plus que l’aventure avec sa foi qu’il continue de partager avec la communauté de la « Petite Genève »
« L’aventure », les protestants de Moncoutant auront à la vivre à nouveau avec les guerres de Vendée qui vont, à diverses reprises, frapper cette partie du bocage. Ce menu peuple « courageux dans la persécution, si long à se plier à la religion catholique » sera plutôt favorable à la République. Les protestants n’ont certainement pas voulu trouver dans la Révolution Française, l’aboutissement de leur acharnement et leur position fut par ailleurs modérée surtout dans les campagnes. Protestants et catholiques faisaient partie d’une même communauté villageoise et avaient les mêmes intérêts : défendre leurs biens, leur terre, face à l’autorité centrale.

Dominique LENNE

Article paru dans la Revue d’Histoire du Pays Bressuirais, N°44, année 1994-1995, p. 58-62.