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Impressions de Prosper de Barante sur Bressuire et ses habitants en 1807 (1)

Ayant suivi l’Empereur dans sa campagne de Prusse, en qualité de Commissaire aux vivres, c’est à Berlin en août 1807 que Prosper de Barante apprend en lisant le Moniteur sa nomination à Bressuire.

Il rentre à Paris à la fin de Septembre en proie aux plus ardents et tourmentés sentiments pour son amie Madame de Staël et Juliette Récamier plus belle encore sous les frondaisons de l’Abbaye-aux-Bois.

Enfin quelques jours avant Noêl, il se décide à gagner sa jeune Sous-Préfecture :

« Je quittais Paris …. et je m’arrêtai à Tours dans une auberge. De Tours j’allai à Poitiers où l’on abandonne la grande route pour le chemin de traverse qui conduit à Bressuire. Je connaissais l’évêque de Poitiers, l’abbé Pradt. Il n’y a pas vingt heures de Poitiers à Bressuire; il me fallut 3 jours pour y faire parvenir ma calèche. Les chemins ressemblent assez aux routes de Pologne. On parcourait d’abord douze lieues de plaine, c’est-à-dire de boue, puis huit lieues de bocage et de chemins creux entre deux haies. Je louais bientôt des chevaux de renfort, tantôt des bœufs; il m’arriva de verser et de rompre les timons; je couchai deux fois dans des auberges de villages. Enfin le 25 Décembre à 11 heures du matin, je fis mon entrée.

« Je fus consterné à l’aspect de ces maisons en ruines, où végétaient le lierre et les orties. De distance en distance s’élevaient des cahutes bâties avec des débris. Je suivis une rue sans voir une maison. La première que je rencontrai était celle où je devais descendre, la demeure du Receveur de l’arrondissement. Depuis le départ de M. du Colombier, un secrétaire du Préfet remplissait l’intérim et logeait chez le Receveur. Il m’expliqua que je ne pourrais me procurer un logement quelconque à moins de louer une maison, d’y faire de grandes réparations et la meubler. C’eut été une notable dépense. Je considérais ma position comme provisoire et j’avais le projet de ne pas faire un long séjour à Bressuire; il ne me convenait donc point de m’y établir. Le secrétaire du Préfet également de cet avis me conseilla d’imiter son exemple, le Receveur qui prévoyait cette détermination, m’offrit un arrangement qui me plut, et un quart d’heure après sa maison était la mienne.

« Les chambres que me donnait M. Blactot, aimé dans le pays, riche et depuis longtemps séparé de sa femme, étaient peu et mal meublées, les murailles n’étaient pas revêtues de tapisseries ni même de papier. On allait en aménager une, mais elle ne serait prête que dans quelques mois. Le bureau de la Sous-Préfecture se trouvait à l’autre bout de la ville, ce qui n’était pas à une longue distance. Le principal commis me parut raisonnable et capable; je compris que administration serait facile hormis la conscription .

« Mon prédécesseur, un de ces hommes à hautes vues qui dédaignent les détails, n’avait que des affaires ordinaires. Il passait ses journées à la chasse. La police dont il faisait grand bruit, n’avait réellement à s’occuper que de quelques prêtres insoumis, au reste très pacifiques, et d’un certain nombre de conscrits réfractaires. Ils tenaient la gendarmerie en haleine, peut-être n’était-elle pas assez nombreuse. Quelques jours après j’écrivis à mon père:

« Je ne vous dirai point de mal de Bressuire, j’en pense tous les jours plus de bien, sans pourtant m’y attacher beaucoup. Jamais je n’ai vu un si bon peuple, simple, moral et religieux. Les habitants n’ont pas comme la bourgeoisie de nos villes de province, cet esprit de malveillance et d’envie. Les crimes sont rares. Sur six procès civils, cinq finissent par un accommodement. Les mœurs sont meilleures que nulle part ailleurs. La vie que l’on mène ici est d’une simplicité telle qu’elle était il y a 50 ans dans la petite bourgeoisie. Les femmes sont beaucoup moins bien mises que les servantes de bonnes misons. Elles font la cuisine et se lèvent pour servir à table. On ne sait rien de ce qui se passe dans le monde; on cause de la chasse en plaisantant sur les maladroits, on se moque doucement de Mr. le Curé tout en le respectant. Après le diner on chante de vieilles chansons, en dansant en rond entre hommes. Je ne saurai pas me mettre ainsi en joyeux entrain; il faudra que je me contente d’un succès d’estime. Sans plaisanterie, je crois que je me tirerai bien de cette administration; elle est facile. Mr du Colombier ayant voulu, selon le mode actuel faire preuve et se donner de l’importance par l’arbitraire, avait mis un peu de désordre dans la vraie administration, mais l’intérimaire a rétabli tout en bon état.

Bernadette WIRTZ-DAVIAU, Bulletin n° 6, « Les Amis du Vieux Bressuire », 1954-1955.

à suivre…