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Chapelle dissidente de La Plainelière, Charlie Hebdo, article du 4 août 2021

La « Petite Église »

LA PETITE ÉGLISE

La « Petite Église » des Deux-Sèvres est un phénomène religieux peu étendu géographiquement. Elle se concentre aujourd’hui dans le Nord-ouest des Deux-Sèvres , essentiellement à Courlay, Cirières et Montigny.

Cependant ce culte, dont les membres sont désignés sous le nom de « dissidents » (eux mêmes se désignent par des périphrases comme : « ceux qui partagent nos opinions »… ou « ceux qui pensent comme nous »…), a participé depuis plus de 200 ans à l’histoire du Bocage laissant son empreinte au niveau de la mentalité, de la culture locale comme de la politique.

ORIGINE

L’origine de cette Église se trouve dans la politique religieuse de Napoléon Bonaparte, alors Premier consul.
Ayant besoin de la paix religieuse, il signe en 1801, un Concordat qui met fin à l’anarchie qui règne depuis la Révolution dans l’Église de France, partagée entre prêtres constitutionnels et prêtres insermentés ou réfractaires.

Le pape Pie VII reconnaît la République française et le gouvernement reconnaît le catholicisme comme la religion « de la grande majorité des français ». Le Saint siège laisse à Napoléon la possibilité de nommer lui même les évêques et archevêques qui devront préter serment de fidélité au gouvernement établi. On procède également à une nouvelle distribution des diocèses.
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Les dispositions du Concordat promulguées en avril 1802 sont inacceptables par un certain nombre d’évêques dont Mgr de COUCY, évêque de La Rochelle (1789 – 1801) qui s’exile en Espagne.doc-106.jpg Il dénonce entre autres, par l’intermédiaire de son vicaire l’abbé BRION, curé de Cirières (entre Cerizay et Bressuire) :
– l’intégration des curés et évêques constitutionnels,
– l’abandon des fêtes religieuses d’obligation (fêtes chômées d’avant la Révolution qui passent d’une trentaine à quatre)
– l’autorisation de donner la bénédiction nuptiale qu’après avoir contracté le mariage civil à la Mairie,
– l’allégeance des curés prêtée au préfet
– les biens nationaux qui sont conservés par leurs acquéreurs…

L’idée que la Religion est « changée » se répand alors rapidement dans le Bocage qui passe sous l’autorité de l’évêque de Poitiers selon les nouvelles dispositions concordataires. Le clergé réfractaire et ses fidèles « composés de métayers et de bordiers, pauvres agriculteurs qui labourent les champs d’autrui » selon le préfet DUPIN, soutenus par Mgr THEMINES, évêque de BLOIS (1776 – 1801), s’enfoncent résolument dans l’opposition. Des communautés de dissidents se localisent dans les cantons de Cerizay, Bressuire, Moncoutant, Mauléon, Argenton-Château. Forte d’une communauté de 20 000 personnes en 1820, la « Petite Église » voit le nombre de ses fidèles diminuer au fur et à mesure des décès successifs du clergé dissident.

Dans les années 1820-1830, la mort de leurs derniers prêtres va provoquer un bouleversement spirituel et culturel considérable. En effet, les dissidents vont désespérément rechercher des prêtres capables de conduire leur communauté. Après de malheureuses expériences : prêtres aux mœurs douteuses, alcooliques, abbés aventuriers, ils décident de confier la gestion des offices à des responsables issus de la communauté des laïcs.

La laïcisation du culte est une des particularités essentielles de cette Église à partir du milieu du XIXe siècle. Les critères de sélection des responsables de la communauté se basent non sur la richesse ou des quartiers de noblesse mais sur la dévotion religieuse, les liens familiaux et l’instruction. Ainsi les responsables de Courlay sont systématiquement choisis dans la famille TEXIER du fait de leur parenté avec le dernier prêtre dissident : l’abbé Pierre TEXIER (1758 – 1826). Les femmes, et notamment « les sœurs », ont également des responsabilités dans les écoles dissidentes mais également au niveau de culte comme Sœur Joséphine (Perrine GUERIN) à Courlay ou Sœur Thérèse (Marie DROCHON) à Cirières jusqu’au début de la Troisième république.

La particularité « de la Petite Église » est de ne pas essayer de recruter de nouveau adeptes et les tracasseries administratives, les pressions, les persécutions morales de la part des différents gouvernements vont entraîner une baisse régulière des effectifs. La dissidence en 1958 ne concerne dans le Bocage qu’environ 3 150 personnes et n’est plus majoritaire qu’à Courlay.(quartier de La Plainelière). Cette communauté va se replier sur elle-même et sa survie nécessite le refus de toute influence étrangère. C’est l’esprit conservateur, l’anonymat et la discrétion qui vont lui permettre de se maintenir jusqu’à aujourd’hui.

LE FONCTIONNEMENT DU CULTE

– Les cérémonies religieuses : le culte se pratique dans les chapelles pour ce qui est des cérémonies de groupe mais il est possible de les faire chez soi en famille dans les maisons particulières. Il se prépare sans consécration d’hosties depuis la disparition des prêtres. Le responsable de la communauté se place à coté de l’autel, lit la messe en latin d’après l’ancien rituel. Elle dure environ 2 heures. Les dissidents suivent la messe le dimanche et célèbrent toutes les fêtes supprimées lors du Concordat. La FÊTE-DIEU en l’honneur du Saint sacrement est particulièrement respectée. Ils respectent rigoureusement le jeûne durant le Carême (sans viande ni œuf). La rigueur vestimentaire lors des cérémonies est imposée. À l’image de la Vierge pour laquelle les dissidents vouent un culte particulier, et qui portait un voile, les femmes n’entrent dans une chapelle qu’avec la tête couverte. Pour tous, il est interdit d’être jambes et bras nus. La séparation sexuelle est toujours de mise dans la chapelle.

– le baptême est le seul vrai sacrement donné par le responsable de la communauté.

– le mariage : Depuis le XIXe siècle, le gouvernement français tolère que le mariage religieux dissident soit célébré avant le mariage civil. Aujourd’hui célébré dans la chapelle de La Plainelière, seuls les mariés, leurs parents et les témoins pénètrent dans la sacristie pour échanger leurs consentements devant le responsable.

– la confession se fait directement à Dieu et les dissidents s’imposent eux-mêmes la pénitence.

– le catéchisme : le jeune dissident apprend les principes de sa religion à l’occasion du catéchisme à partir du « Petit catéchisme du diocèse de la Rochelle d’avant 1789 ». Il dure environ un mois avant la communion durant lequel les enfants ne fréquentent plus l’école. La communion a lieu le jeudi de la FÊTE-DIEU

– les enterrements : dans les communes où la communauté dissidente est importante, le cimetière est divisé en deux parties : une pour les catholiques et l’autre pour les dissidents. Les tombes ne sont pas orientées de la même façon, celles des dissidents sont tournées vers l’ouest

Les dissidents sont différents des autres catholiques car ils pratiquent un culte tel qu’il existait avant la Révolution française mais cette distinction se retrouvait également dans la vie sociale, culturelle et politique. L’opposition aux concordataires comme l’esprit communautaire étaient forts et poussaient les dissidents à envoyer leurs enfants à l’école publique. Le groupe exerçait des pressions sur ceux qui voulaient quitter ses rangs, assimilés à des traîtres. Les mariages, les fêtes, les loisirs, le travail, les achats, les locations de fermes se faisaient au sein du groupe. Les partis de gauche avaient leurs suffrages.

Certes aujourd’hui, la position des dissidents est moins tranchée et les jeunes générations rejoignent celles des catholiques dans leur quotidien. Les mariages mixtes entre catholiques et dissidents finissent par créer une osmose sans pour autant faire disparaître ce particularisme qui trouve sa source profondément ancrée dans ses concepts religieux.

Bibliographie sélective :

BILLAUD (Auguste), La Petite Église dans la Vendée et les Deux-Sèvres (1800-1830), Paris, Nouvelles Éditions Latines, (1ère édition 1962), 1982, 654p.

ROUGER (Jany), NEVEU (Jean-Louis) (Ss. la dir. de), « La Petite Église, deux siècles de dissidence », Parthenay, Ed. UPCP/Geste Paysanne, 1987, 115 p.

PAINEAU (Pascal), « Vendée: les derniers survivants de la Petite Église », L’Histoire, septembre 1993, n°169, p. 68-71.

Et les autres articles de notre revue sur le sujet dans les n°68, 84 et 86.