Il y a quelques mois, M. Hubert Beaujeault a remis à HPB un texte racontant un épisode de sa jeunesse, en pleine occupation allemande, à Terves ; des souvenirs qu’il nous semble intéressant de publier.
Né en septembre 1929 à la Buzotière de Terves, Hubert Beaujeault a 10 ans lorsque la guerre est déclarée. Ses parents exploitent une ferme de 50 hectares qui appartient à M. l’abbé Métayer, frère du futur maire de Bressuire. En mai 1940, ses yeux d’enfants voient arriver les premiers réfugiés des Ardennes qui sont accueillis, vaille que vaille, parmi la population locale. Quelques jours plus tard, à la suite de la courte bataille autour de la place Labate à Bressuire au soir du 22 juin, les troupes allemandes s’installent dans le Bocage. L’Occupation débute, qui va durer plus de quatre longues années.
Très rapidement, passé le temps de la stupéfaction et de l’angoisse, la vie reprend son cours dans les villages. Et, comme le dit l’auteur, « le jeu de ballon servait de dérivatif et représentait un moyen salutaire d’oubli ». C’est à la suite de l’un de ces matchs qui oppose deux équipes locales que va se dérouler la grave altercation qui aurait pu tourner en tragédie, entre de jeunes Tervais et des soldats allemands, racontée par Hubert Beaujeault.
Authentique témoignage, le texte doit cependant être passé au crible de l’analyse historique. Composé de nombreuses années après les faits, le récit n’est plus celui d’un enfant qui raconte, sur le vif, un épisode de sa vie qui l’a marqué mais celui d’un homme qui se retourne sur son passé, qui se remémore et qui ajoute à son souvenir des considérations et des connaissances de l’adulte qu’il est devenu.
Au détour d’un paragraphe, l’auteur commet un anachronisme qui lui est pardonné ici. En 1941, année au cours de laquelle il situe l’événement, il ne peut faire état de jeunes réfractaires au STO (Service du Travail obligatoire) qui ne sera mis en place qu’en février 1943[1].
Ailleurs, il reprend à son compte une vieille antienne, depuis longtemps contredite par les historiens, mais qui fut utilisée sciemment par Vichy pour discréditer les hommes et l’action du Front Populaire. La défaite de la France en 1940 n’est pas due au « relâchement de la population [qui] devenait palpable depuis 1936 et les congés payés ».
Le témoignage de cette fameuse journée, dont l’auteur ne donne pas la date précise, juste l’année : 1941, est confirmé par celui de Simone Pinguet, jeune réfugiée de Charleville dans les Ardennes, arrivée à Terves avec sa famille en juin 1940. Son texte, rédigé en 1994, beaucoup plus bref, se termine par le même sentiment d’inquiétude et de soulagement mêlés : « Cet après-midi-là, notre terre d’asile a eu très chaud, cela aurait pu finir par un carnage[2] ».
Malgré les quelques menues réserves que nous avons relevées, le récit de M. Hubert Beaujeault a l’immense mérite de rappeler à nos mémoires les années sombres de l’Occupation à travers l’exemple de cette confrontation qui aurait pu devenir un drame épouvantable, entre de jeunes Tervais et quelques soldats allemands.
Au-delà de l’anecdote racontée avec verve et précision, le texte peut aussi être lu à deux niveaux. C’est d’abord celui, historique, qui met en exergue les relations compliquées entre l’occupant et l’occupé. Passés les premiers mois au cours desquels l’autorité allemande a expressément demandé aux soldats d’entretenir des rapports cordiaux et corrects avec la population française, la situation s’est dégradée. Les jeunes notamment acceptent mal de devoir courber l’échine et certains parmi eux vont s’engager dans les mouvements de résistance qui se développent dans le Bocage à partir de 1941.
Le deuxième niveau de lecture est plus sociologique et ethnologique. C’est celui qui fait revivre les femmes et les hommes des années de guerre et notamment leur cadre et leurs conditions de vie qui nous apparaissent désormais très lointains et souvent bien « rustiques ».
Je vous convie donc à lire ce témoignage qui va vous plonger plus de quatre-vingt années en arrière dans le petit village qu’était Terves à l’époque. Lisez ou relisez également celui de Simone Pinguet sur le site internet d’HPB (https://hpb.asso.fr/wp-content/uploads/2022/06/Souvenirs-et-memoires-de-mes-cinq-annees-passees-a-Terves-durant-la-guerre-39-45.doc.pdf).
[1] Effectivement, Laval crée le S.T.O, par la loi du 16 février 1943, pour les jeunes gens nés en 1920, 1921 et 1922. Mais, dès le printemps 1942, la « Relève », basée sur le volontariat face aux exigences de Sauckel qui réclamait 350 000 ouvriers, fut un échec. Enfin, dès 1941, la propagande allemande s’était efforcée d’attirer en Allemagne les travailleurs français : autre échec.
[2] Simone Pinguet, « Souvenirs et mémoires de mes cinq années passées à Terves durant la guerre 40-45 », cahier central de la Revue d’Histoire du Pays Bressuirais, année 2011, N°65, p. 21.